1) L’Union européenne a adopté en quelques années une vaste règlementation sur la finance durable
L’Union européenne a adopté en quelques années une vaste règlementation sur la finance durable, afin d’obliger les grandes entreprises à publier de nombreuses informations et données ESG (Environnement -dont climat-, Social et Gouvernance) : SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation [1], pour les investisseurs financiers, qui s’applique depuis Mars 2021), la taxonomie « verte » (depuis 2023), CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive[2]), qui s’appliquera dès 2025 pour les comptes de 2024 et qui s’appuiera sur des normes de reporting dites ESRS, (European Sustainability Reporting Standards[3]).
L’adoption de cette législation a parfois soulevé des contestations et, notamment dans la dernière ligne droite de finalisation des ESRS, ce qui a conduit la Commission, dans son règlement délégué, à assouplir les propositions d’EFRAG, le groupe consultatif en charge des propositions dans ce domaine. La Commission a notamment introduit le concept de matérialité, qui signifie que les entreprises ne sont obligées de publier que des informations et des données qui sont significatives. C’est l’application de la vieille règle européenne inspirée de l’adage romain « De minimis non curat praetor » (« le gouvernant ne doit pas se soucier des choses minimes »).
Le nombre de données maximal à publier est impressionnant : 1.600, mais la plupart des grandes entreprises doivent publier beaucoup moins : 500 à 600 pour une entreprise industrielle classique, 200 à 300 pour une entreprise de services. Et la plupart de ces entreprises publient déjà une partie de ces données, en application d’une directive précédente NFRD (Non-Financial Reporting Directive), mais aussi dans le cadre d’une démarche ESG pour informer leur personnel, leurs clients, leurs financiers etc.
2) Depuis plusieurs mois, une révolte d’une partie des entreprises et des politiques gronde contre CSRD et demande sa simplification, voire son ajournement.
Il y a eu une grogne des entreprises, y compris des PME (pourtant pas directement concernées pour l’instant, j’y reviendrai), puis ce thème a émergé lors de la campagne des élections européennes, porté par l’extrême-droite, mais aussi par le PPE, qui avait pourtant voté les différentes législations. Plusieurs gouvernements, mais aussi les représentants patronaux, ont demandé la simplification de cette législation, voire l’ajournement de l’application de CSRD.
Le rapport Draghi contient la critique suivante : « Le cadre de l’UE en matière d’information et de diligence raisonnable sur la durabilité est une source majeure de fardeau réglementaire, accentué par un manque d’orientation pour faciliter l’application de règles complexes et clarifier l’interaction entre les divers textes législatifs.
3) Cependant l’ajournement de CSRD serait une faute politique majeure : on ne change pas de chevaux au milieu du gué !
CSRD et l’application des ESRS représente en effet un fardeau important pour les grandes entreprises, mais l’ajournement serait la pire des solutions pour 3 raisons :
- En premier lieu les grandes entreprises ont déjà fait la plus grande part du travail,et le secteur financier aussi (qui applique SFDR depuis 3 ans) ;
- Ensuite, il est évident que personne ne s’attend à ce que toutes les publications soient complètes et parfaites du premier coup ! Il y a de réels problèmes de disponibilité de données comparables et de qualité, notamment de la part de fournisseurs et de clients des grandes entreprises, qui ne pourront s’améliorer que progressivement. Mais pour progresser, il faut bien commencer : les publications de 2025 seront un test qui permettra de mieux évaluer ce qui marche et ce qui pose problème, afin que celles de 2026 soient meilleures etc,
- Enfin, le test de 2025 pourrait permettre aussi de simplifier et de clarifier, au vu justement de l’évaluation qui pourra être faite !
4) Comment vraiment aider les PME ? En les insérant intelligemment et progressivement dans le dispositif et en leur fournissant une assistance technique.
Les PME ne sont pour l’instant pas directement concernées par CSRD. Seules les PME cotées devront publier des informations durables à compter de 2027 pour les comptes de 2026, sauf si elles décident de reporter cette obligation à 2029. Une proposition de normes pour les PME cotées, moins nombreuses et plus simples que pour les grandes entreprises, a fait l’objet d’une consultation. Les publications des autres PME ne peuvent avoir lieu que sur une base volontaire sans obligation de date.
Mais les PME sont une partie importante de l’économie européenne, un grand nombre d’entre elles sont dans des secteurs carbonés et, à ce titre, elles doivent s’inscrire dans la démarche de transition énergétique de l’Union européenne.
Pour cela, elles doivent dès que possible collecter et publier des informations et des données ESG, qui leur serviront pour établir des plans de transition et pour informer leurs salariés et leurs partenaires (grandes entreprises, banques, clients). En raison de leurs moyens limités et des priorités déjà nombreuses auxquelles doivent répondre les dirigeants de PME, cette démarche ne pourra être que progressive sur plusieurs années et devra être soutenue par leurs partenaires naturels : experts-comptables, banques, fédérations professionnelles, chambres de commerce, voire par les pouvoirs publics. Il existe beaucoup d’expériences en ce sens qui marchent bien et peu coûteuses.
C’est aussi l’intérêt bien compris des PME que d’avoir une législation spécifique[4], avec un nombre réduit d’informations et de données à fournir, sur la base des récentes propositions d’EFRAG sur les PME cotées d’une part et sur les autres PME sur une base volontaire de l’autre (ce dernier jeu de normes ne contient que 30 données à fournir).
Cela les protégera aussi vis-à-vis de la pression possible des grandes entreprises et du secteur financier de leur demander un nombre plus important d’informations et de données.
Conclusion
La mise en œuvre de l’importante législation européenne sur la transparence durable est à un tournant. Elle représente un réel fardeau pour les grandes entreprises, mais celles-ci ont déjà fait la plus grande part du travail. Les publications prévues par la CSRD en 2025 sur les comptes de 2024 devraient servir de test pour évaluer les progrès et les difficultés rencontrées et, sur cette base, pour simplifier et clarifier.
Quant aux PME, qui ne sont pas encore touchées par cette réforme, il est souhaitable, pour celles qui sont dans des secteurs carbonés, qu’elles entament dès que possible une démarche progressive de collecte et de publication de données ESG, qu’elles soient aidées dans cette démarche par leurs partenaires habituels et qu’elles puissent se prévaloir d’un cadre juridique spécifique de normes simples et en petit nombre.
[1] Règlement sur la publication d’informations financières durables
[2] Directive sur le reporting de durabilité des entreprises
[3] Normes européennes de reporting de durabilité
[4] « Il faut aider les PME à collecter et publier leurs principales données ESG », J.-F. Pons, Europe Jacques Delors, Novembre 2022