Une nouvelle politique industrielle de l’UE : le Clean Industrial Deal

Une nouvelle politique industrielle de l’UE : le Clean Industrial Deal

Description

Face aux critiques croissantes sur le Pacte vert européen et aux défis des transitions verte et numérique, la nouvelle Commission européenne d’Ursula von der Leyen entend recentrer son action sur la compétitivité et la sécurité. À travers le « Clean Industrial Deal » (CID), Bruxelles ambitionne de simplifier les procédures administratives, soutenir les industries énergivores, renforcer l’innovation technologique et répondre aux besoins de financement de la transition. Ce blog post en analyse les instruments, ses financements, et sa gouvernance.

La nouvelle Commission d’Ursula von der Leyen affiche clairement ses priorités : la compétitivité et la sécurité. L’objectif est de répondre aux critiques virulentes de la droite et de certains secteurs économiques à propos du Pacte vert européen, de tenir en compte les préoccupations des travailleurs/euses et des employé/es, et de combler le manque jusqu’à présent d’une stratégie industrielle européenne pour soutenir les transitions verte et numérique, ainsi que, hélas, les nouvelles priorités en matière de défense. Le « Clean Industrial Deal » (CID) devrait être publié le 26 février 2025, à l’aube des 100 premiers jours de la deuxième Commission guidée par Ursula von der Leyen.

Bien évidemment, il n’y a pour l’instant aucune certitude sur les détails des propositions. Mais les services de la Commission y travaillent déjà depuis des semaines et quelques lignes directrices se dessinent dans les « lettres de mission » que la Présidente a confiées à ses Commissaires. En parallèle, on observe un grand activisme à Bruxelles de la part des différents groupes d’intérêts et lobbies de l’industrie qui cherchent à faire avancer leurs propositions.

Lors de la campagne pour les élections européennes, plusieurs voix avaient réclamé la révision, voire l’abrogation, de certaines mesures du pacte vert européen. Un document interne du Parti Populaire Européen (PPE, conservateurs) de décembre 2024 dresse une longue liste de directives et de règlements déjà adoptés sur lesquels il pense qu’il faudrait revenir.[1] Toutefois, bien que la pression exercée par le PPE et de la droite soit importante, à ce jour, il semble peu probable que le « Clean Industrial Deal » proposera de réouvrir les législations déjà adoptées dans le cadre du Pacte vert. L’échec de la tentative d’une majorité de la droite et de l’extrême droite de faire tomber le règlement sur la déforestation (aussi connu sous l’abréviation anglaise EUDR) a montré les risques d’une telle réouverture législative, susceptible de mener à un chaos difficile à maîtriser.[2] 

Une agenda de simplification

Par conséquent, le CID s’efforcera plutôt de réduire les charges bureaucratiques, de simplifier les procédures et d’adapter les lignes directrices pour soutenir financièrement des secteurs les plus vulnérables et en particulier des secteurs industriels à forte intensité énergétique. Parmi les priorités du CID connues à ce jour figurent la « simplification » des processus administratifs pour la décarbonisation de l’industrie, avec des procédures d’autorisation plus rapides et des « bacs à sable » réglementaires, permettant de tester des technologies innovantes, même en dérogeant aux réglementations ; la réduction des prix de l’énergie et un meilleur accès aux matières premières essentielles ; la définition d’un cadre pour encourager la demande de technologies propres ; des garanties publiques pour financer les industries propres et encourager l’investissement en réduisant les risques pour les entreprises ; la gestion de l’impact social de la décarbonisation au niveau territorial/régional et au niveau de la distribution ; ainsi que le développement des compétences nécessaires pour les transitions vertes et numériques.

Les instruments du Clean Industrial Deal

Le « Clean Industrial Deal » sera vraisemblablement composé des instruments suivants :

-  Une loi « d’accélération de la décarbonisation industrielle » (Industrial Decarbonisation Accelerator Act) pour soutenir le développement, la production et le déploiement des technologies propres, tout en accélérant les processus de planification, d’approvisionnement et d’autorisation. Un levier important sera la création des « marchés porteurs » (green lead markets) pour des technologies et matériaux bas-carbone.

-  La Commission poursuivra ses efforts sur la stratégie de gestion du CO2 industriel sur la base de la stratégie publiée début 2024 (Industrial Carbon Managment Strategy), dans le but d’accélérer la mise en place d’un marché unique du CO2, incluant également des mesures de captation et utilisation du carbone (CCU/CCS). Ces mesures visent à soutenir les secteurs difficiles à décarboner, tels que l’aviation et le transport maritime, ainsi que d’organiser des mécanismes de création de demande pour d’autres matières sensibles, au-delà du gaz.

-  Un plan d’action pour une énergie abordable (Action Plan for Affordable Energy) qui comprendra des propositions visant à renforcer l’intégration du marché de l’énergie, à réduire les taxes et les charges, à encourager les contrats à long terme et les accords d’achat d’électricité (Power Purchase Agreements, PPA) afin d’améliorer l’accessibilité de l’énergie propre pour les industries. Lors des auditions, le commissaire à l’Energie, Dan Jørgensen, a annoncé la publication du plan comme l’une des premières mesures du CID dans les cent premiers jours du mandat[3].

-  En ce qui concerne l’énergie nucléaire, le CID comprendra une communication sur le plan d’action stratégique et les feuilles de route technologiques pour les petits réacteurs modulaires (SMR). Il est intéressant de noter que la Vice-Présidente Exécutive en charge du Clean Industrial Deal, Teresa Ribera, et le commissaire à l’Energie, Dan Jørgensen, sont tous les deux opposés à l’énergie nucléaire. Nous verrons comment ils parviendront à limiter les dégâts de ressources européennes dans ce domaine.

-  Parmi les autres mesures, on peut citer la révision du cadre de la sécurité d’approvisionnement et, peut-être, la révision du règlement sur la gouvernance (pour lequel il n’il n’y a pas d’accord entre les États membres pour l’instant). Le CID comprendra également des mesures visant à renforcer les réseaux d’énergie et à améliorer le stockage de l’énergie.

-  Un plan sur l’économie circulaire (Circular Economy Act) sera présenté en 2026. Il visera à augmenter l’offre et la demande de matériaux secondaires et à créer un « marché unique pour les déchets », y compris des mesures relatives à l’offre et à la demande de matières premières secondaires. L’objectif est de parvenir à une plus grande harmonisation sur des questions telles que la responsabilité élargie des producteurs et les critères de fin de vie des déchets, ainsi que de rationaliser et de simplifier les procédures.  De nouveaux critères de durabilité pour les marchés publics viseraient à accroître la demande de matières secondaires.

-  Une nouvelle stratégie pour la bioéconomie afin d’encourager l’innovation, d’augmenter la production de biomatériaux de manière durable et d'exploiter les synergies avec l'économie circulaire.

-  Un plan d’investissement pour le transport durable en donnant la priorité aux solutions de décarbonation des transports.

-  Un paquet pour l’industrie chimique (révision et simplification de la réglementation REACH) afin de soutenir la mise en œuvre de la législation et la transition de l’industrie chimique vers des solutions plus propres et plus sûres. Ce paquet comprendra également des dispositions sur les PFAS, le groupe de substances chimiques d’origine anthropique également connus sous le nom de « produits chimiques éternels ».

Le financement – le talon d’Achille de la transition

La crédibilité de la nouvelle stratégie industrielle de l’UE dépendra en grande partie de la capacité de la Commission européenne et des états membres à le financer. Le budget de l’UE représente seulement environ 1 % du PIB, et il n’existe pas encore d’accord sur une relance d’un plan similaire au plan de relance covid, baptisé « NextGenerationEU », ou un financement européen comparable au « Inflation Reduction Act » (IRA) américain. En 2025, un débat d’orientation sera organisé pour le prochain budget à long terme pour la période 2028-2034. La pression considérable sur les gouvernements et l’UE pour répondre au besoin considérable de fonds publics et d’investissements privés nécessitera sans aucun doute de trouver un moyen de sortir de l’impasse actuelle sur les instruments financiers communs, quitte à rendre toute hypothèse de relance impossible, comme l’ont bien expliqué les rapports de Mario Draghi[4] et d’Enrico Letta[5].

Plusieurs initiatives sont envisagées pour le financement :

La création d’un Fonds européen pour la compétitivité afin d’assurer l’investissement dans l’innovation et la technologie pour conduire la transition. Pourtant,  ce nouveau fonds sera principalement basé sur la réorganisation des fonds existants, largement insuffisants ;

La création d’un nouveau cadre pour les aides d'État afin d’éviter une course aux subventions nationales et un nouvel affaiblissement du marché intérieur ;

La révision de la directive sur les marchés publics pour permettre une préférence de produit dans les marchés publics pour les secteurs et technologies stratégiques.

Le plus grand défi pour l’UE sera de trouver le bon équilibre entre l’aide aux secteurs traditionnels (souvent fossilisés) dans leur transition et le soutien aux industries plus innovantes déjà très actives dans la course pour combler le fossé technologique et commercial qui ne cesse de se creuser avec les États-Unis et la Chine, dans un contexte de pénurie de ressources et de fragmentation au sein de l’UE.

Compte tenu du nouvel équilibre politique, il existe également un risque grave que cette nouvelle politique industrielle européenne permettra aux pratiques et technologies nuisibles à la course pour la neutralité climatique et à notre compétitivité, au lieu d’inciter et de faciliter les activités les plus innovantes et utiles à la transition verte. Il existe également un risque que cette politique ne prévoie pas suffisamment de mesures pour la formation, la reconversion et l’accompagnement des travailleurs/es d’aujourd'hui et surtout de demain.

Une nouvelle gouvernance pour la transition

La présidente de la Commission européenne a annoncé que la nouvelle Commission « aura une structure plus interconnectée » et que « tous les Commissaires devront travailler ensemble ». Cependant, en raison du chevauchement des compétences, la coordination interne s’annonce difficile, notamment en raison des différentes approches et cultures politiques entre les Commissaires concernés. C’est pourquoi on peut soupçonner que la Présidente a choisi cette structure pour garder pour elle les décisions et les arbitrages les plus importants. Cependant, il n’est pas certain qu’elle sera en mesure de maintenir la cohésion de son équipe, en vue des différents approches et positions sur ces thèmes des commissaires responsables et de leur gouvernements. 

Ursula von der Leyen a déclaré que cette Commission entendait s’engager dans un dialogue « sans précédent » avec les acteurs et les citoyens, et a demandé à tous les Commissaires d’organiser systématiquement des consultations avant de faire des propositions. Il sera important de voir si cela se traduira par un processus de dialogue organisé et ouvert, en plus de ceux qui sont déjà en place, qui impliquent aujourd’hui principalement les représentations des secteurs industriels qui ont un accès privilégié aux gouvernements européens et à la Commission.

Finalement, il est important de noter que toute proposition d’amendement ou d’initiative législative devra passer par le processus habituel de consultation, d’évaluation de l’impact et d’approbation par le Parlement et le Conseil : un processus laborieux et lente qui s’annonce beaucoup plus controversé que par le passé, en vue des majorités alternatives possibles avec des groupes politiques anti-européens et eco-sceptiques.

Le CID suscite de grandes attentes : nous verrons dans quelle mesure elles pourront être réalisés, compte tenu des divisions actuelles entre les gouvernements et les institutions de l’UE et de la complexité réelle de l’environnement politique.

L’original de ce papier a été publié dans le médium italien Green Report le 16 décembre 2024, disponible en ligne:  Si avvicina una nuova politica industriale per l'Ue: il Clean industrial deal

[1] Directive sur les émissions, loi sur le climat, ETS, automobile, etc.

[2] L'accord entre la Commission, le Parlement et le Conseil était de rouvrir la législation, mais seulement de reporter sa mise en œuvre d'un an. Le PPE, malgré l'accord, a déposé d'autres amendements visant à affaiblir considérablement la portée de la législation. Cette manœuvre a finalement échoué car la majorité du Conseil (sans l'Italie) et la Commission n'ont pas cédé. En fin de compte, le rapporteur responsable du PPE a cédé. Mais sur d'autres sujets, le jeu pourrait fonctionner avec des effets vraiment imprévisibles.

[3] Questions et réponses écrites, Dan Jørgensen, octobre 2024, disponible : jorgensen_writtenquestionsandanswers_en.pdf

[4] Draghi, M. (2024) The Future of European Competitiveness, disponible : EU competitiveness: Looking ahead - European Commission

[5] Letta, E. (2024) Much More Than a Market – Speed, Security, Solidarity, disponible : Enrico Letta - Much more than a market (April 2024)

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